Analyses
Le duel
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Global Equity Observer
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octobre 30, 2025
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octobre 30, 2025
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Le duel |
Le trimestre dernier, nous avons évoqué la nette réorientation de la trajectoire et du leadership de marché depuis le point bas qui avait suivi l’annonce de droits de douane lors du « Liberation Day » début avril. Cette trajectoire haussière s’est poursuivie au troisième trimestre. La progression de 7 % des marchés actions mondiaux a porté la performance en cumul annuel de l’indice MSCI World à +17 %, malgré les incertitudes persistantes suscitées par les politiques actuelles et les tensions géopolitiques.
L’indice MSCI World se traite désormais à plus de 20 fois les bénéfices prévisionnels, contre 23 fois pour l’indice S&P 500. Ces multiples élevés portent sur les bénéfices à terme, qui devraient enregistrer une croissance à deux chiffres lors des deux prochaines années, dans le sillage d’une augmentation des marges qui sont pourtant déjà à des niveaux record. En effet, les valorisations actuelles, historiquement élevées, intègrent une poursuite de l’essor de l’IA et un contexte macroéconomique suffisamment favorable pour contribuer à cette croissance à deux chiffres des bénéfices, tout en anticipant un maintien de marges élevées grâce à l’assouplissement des politiques et aux gains de productivité liés à l’IA. Autrement dit, les anticipations sont élevées. Pourtant, le cours record de l’or nous rappelle que les incertitudes persistent.
Après ce rebond cyclique de 6 mois, alimenté par les valeurs de croissance, les valeurs de bonne qualité enregistrent une sous-performance sans précédent par rapport à l’indice plus large, comme l’illustre la comparaison entre les indices S&P 500 Quality et S&P 500. Jamais les actions de qualité n’avaient autant sous-performé depuis l’éclatement de la bulle Internet. Historiquement, après des périodes de sous-performance marquées, les titres de bonne qualité ont souvent surperformé de manière prolongée le reste du marché.
Nous observons actuellement un duel sur les marchés financiers entre les optimistes, qui anticipent une rentabilité accrue des entreprises à court terme sous l’effet de l’IA et/ou un rebond marqué de l’économie américaine, et les pessimistes, qui estiment que ces anticipations élevées sont trop optimistes. Deux facteurs pourraient provoquer un scénario baissier : un déploiement à grande échelle de l'IA générative par les entreprises plus long que prévu, qui menacerait la rentabilité des investissements colossaux des « hyperscalers », ou un environnement macroéconomique pas assez robuste pour justifier la prévision d’une croissance à deux chiffres des bénéfices. Notre équipe chevronnée sait aussi parfaitement à quel point il peut être douloureux de revoir à la baisse des attentes trop élevées.
En se basant sur les données des 150 dernières années, le marché semble évoluer dans sa quatrième ère de « nouvelle technologie », avec les valorisations extrêmes qui vont avec et un ratio cours/bénéfice ajusté du cycle du S&P 5001 à deux écarts-types au-dessus de sa tendance à long terme. Les comparaisons avec les trois épisodes précédents de valorisation extrême, dans les années 1900, 1920 et plus récemment la bulle Internet, soulignent le risque de corrections très brutales du marché lorsque le sentiment des investisseurs s’infléchit (chute de 15 % à 50 %). Les secteurs les plus exposés souffrent davantage en cas de scénario baissier, tandis que les segments délaissés profitent d’un moment de gloire : ce fut le cas de la consommation non-cyclique lors du krach des valeurs Internet, cette fois-ci ce pourrait être le tour des supposées « victimes de l'IA », qu'il s'agisse d’éditeurs de logiciels ou de valeurs financières et industrielles très gourmandes en données.
Malgré des similitudes avec l'exubérance observée à l'époque de la bulle Internet, il existe aujourd'hui des différences notables : les entreprises qui alimentent le boom sont rentables et la dynamique de leurs bénéfices reste soutenue, tandis que leurs ratios cours/bénéfices, bien qu'élevés, ne sont pas aussi extrêmes qu’en 1999. Autre différence essentielle, les dépenses d’investissement massives des « hyperscalers » sont largement autofinancées à partir de leurs flux de trésorerie opérationnels, ce qui leur permet de poursuivre, voire d’amplifier leurs investissements tout en étant peu dépendants des financements externes.
Quoi qu’il en soit, l’incertitude persiste. Il existe actuellement un paradoxe au cœur du boom de l’IA générative. L’IA générative s’est forgée une place inédite dans l’esprit des dirigeants et tous ceux qui l’ont utilisée connaissent son potentiel, mais son adoption à grande échelle et sa création de valeur au sein des entreprises sont encore très limitées. Cela pourrait entraîner un cycle de la hype de Gartner assez classique, avec une transition de la phase « Pic des attentes démesurées » vers le « Creux de désillusion » du fait des difficultés et du temps nécessaire à la mise en œuvre, et ce même si elle finit par s’imposer et par transformer l’activité des entreprises. En outre, la situation macroéconomique n’est pas claire compte tenu des incertitudes importantes suscitées par les politiques, notamment l’impact final des droits de douane et les risques géopolitiques mondiaux. La croissance est positive, mais les perspectives macroéconomiques restent modérées. La croissance américaine devrait ressortir entre 1,5 % et 2 % en 2025 et 2026 et celle de la zone EAFE (Europe, Australasie et Extrême-Orient) devrait être proche de 1 %.
Au cours du trimestre, les marchés se sont de plus en plus préoccupés du véritable potentiel de rupture de l’IA pour les entreprises, notamment celles traitant des volumes considérables de données. La réaction initiale a été quasi-systématique. Les investisseurs ont en effet sanctionné indistinctement presque toutes les entreprises présumées exposées aux données, indépendamment de leur modèle économique, de leur positionnement concurrentiel ou de leur capacité d’adaptation. Selon nous, le marché se trompe en adoptant une approche aussi généralisée, car elle ne tient pas compte des différences importantes entre les secteurs et les entreprises impliqués. Nous examinons attentivement au cas par cas la vulnérabilité potentielle des entreprises aux ruptures de l’IA, ainsi que les opportunités en termes de revenus et les coûts induits.
Notre analyse de chaque entreprise repose sur plusieurs principes généraux. Selon nous, les entreprises traitant de gros volumes de données qui sauront se protéger ont toutes les chances de contrôler des jeux de données propriétaires qui ne pourront pas être reproduits par les robots d’IA générative parcourant l’Internet en quête de données, ou sont susceptibles d’être intégrées au cœur des processus des clients, voire de jouer un rôle majeur dans de vastes écosystèmes. Ces entreprises devraient avoir la capacité financière et technique d’intégrer l’IA à leur offre, ce qui leur permettra de créer de la valeur pour les clients et de réduire sensiblement certains coûts importants, que ce soit en termes de relations clients ou de codage. Dans le cas de RELX, qui figure dans nos portefeuilles, on observe déjà que le mariage de l’IA et des jeux de données propriétaires de l’entreprise accélère la croissance des revenus de son activité juridique. SAP, également dans nos portefeuilles, est immunisé des ruptures technologiques car ses solutions sont au cœur des activités critiques de ses clients et du fait de son expertise métier et sectorielle bien établie. Ses copilotes et agents Joule constituent des sources potentielles de revenus supplémentaires, tandis que les innovations en matière d'IA générative pourraient accélérer la transition lucrative de ses clients vers S/4 Hana, son système de planification des ressources d'entreprise de nouvelle génération. C’est précisément ce type d’entreprises de grande qualité et riches en données que nous cherchons à détenir dans notre portefeuille.
Une fois que le débat sur l’IA aura progressé et que le marché saura distinguer les entreprises réellement vulnérables aux ruptures technologiques de celles capables de faire de l’IA un véritable avantage concurrentiel, la dispersion des performances devrait nettement augmenter dans l’ensemble du secteur. En attendant, compte tenu de l’approche généralisée adoptée par le marché, nous allons pouvoir ajuster certaines de nos positions qui souffrent d’incertitudes vis-à-vis de l’IA, les valeurs de grande qualité ayant été sanctionnées tout autant que les entreprises jugées vulnérables aux ruptures introduites par l’IA.
Alors que les « certitudes » des investisseurs se confrontent à une réalité très incertaine et que les valorisations sont élevées, nous continuons à privilégier les entreprises affichant une croissance durable du bénéfice par action grâce à une augmentation soutenue de leur chiffre d’affaires, qui constitue selon nous une source plus fiable de capitalisation à long terme que l’amélioration supposée des marges.
Source des données mentionnées, sauf indication contraire : MSIM, FactSet, au 30 septembre 2025.
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Managing Director
International Equity Team
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